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Blog culturel. Chroniques littéraires, musicales et interviews

Interview de Frédéric Coudron octobre 2013

Publié le 22 Octobre 2013 par Dubruit Danslesoreilles

Interview de Frédéric Coudron octobre 2013

Bonjour Frédéric,

Le Masque de Janus est sorti en septembre, il met une nouvelle fois en scène Alessandro Calderon. Peux-tu présenter ce personnage à ceux qui ne le connaissent pas encore ?

Calderon est l’anti-flic classique. Souvent, les personnages de la littérature policière ont des tendances à la dépression et présentent des addictions liées à la pénibilité de leur travail et aux horreurs qui en parsèment le chemin. Et ils sombrent, au fur et à mesure, pour finir complètement désabusés. Lui, à la base, est un enfant gâté par la vie. Trop gâté. Il n’a pas de réels repères et trouve refuge dans les paradis artificiels. La drogue, l’alcool, le sexe. Son triptyque ! Son job (et l’amour, bien sûr…) va lui permettre de trouver un sens à sa vie. Et de faire la seule chose qu’il sait faire : enquêter. En ce sens, là où les autres s’enfoncent dans le pire, lui progresse sur lui-même à chaque opus.

Après Lille et Paris, Aless enquête désormais en Amérique, pourquoi ce choix ?

Cet opus s’inspire très largement de plusieurs grands cas de tueurs en série, qui, pour la plupart, ont sévi sur le sol américain. C’est le cas de Robert Jr Yates. Il me semblait donc logique d’aller me balader de ce côté de l’Atlantique. Par ailleurs l’intrigue se déroule entre Paris et l’Etat de Washington aux Etats-Unis. Et ce « grand écart » est très symbolique. Paris est une ville qui fait rêver le monde entier. A taille humaine, elle représente l’humanité, par son histoire, par son architecture. Elle est la nature maîtrisée par l’homme. L’Etat de Washington lui se caractérise par l’immensité de son univers minéral et végétal, ses paysages grandioses. Il est l’expression de la supériorité de la nature sur l’homme. Pourquoi ce choix, cette opposition forte ? Une première raison simple et rationnelle : Les grands espaces naturels -- cf Les Rivières pourpres, cf Insomnia-- génèrent un sentiment de peur chez le spectateur, vestige de l’enfance et de la crainte de se perdre. De façon plus symbolique, la fascination du public pour les tueurs en série est en grande partie liée à la liberté totale que ces derniers s’octroient et sous sa forme la plus inavouable : la liberté de tuer l’autre. En allant de Paris « la civilisée » vers Walla Walla « l’indomptable », on entre sur le territoire du serial killer, un territoire sans limite, à la frontière du réel et du fantastique.

Calderon semble moins torturé, presque équilibré dans ce volume. Le côté sombre vient désormais de son entourage (je pense au problème de Milou). Tu as décidé de le ménagé un peu ?

Je te renvoie à la première question. Calderon fait un immense boulot sur lui-même. Désormais en couple, avec un enfant, il a trouvé un véritable équilibre. Mais le côté sombre n’est jamais loin. Dans cet opus, il se « matérialise » par la haine profonde d’Aless envers Paris. Paris qu’il considère comme une fourmilière qui « déshumanise » les robots qui y vivent. Attention, il n’y a rien de personnel là-dedans (sinon, je vais louper tous les prix littéraires, en région parisienne…sic).

Tu parles du contexte politique de la France, des personnes existantes sont citées (Stéphane Bourguoin), on a l’impression qu’il était important pour toi d’ancrer cette histoire dans l’air du temps…

Délicat de répondre à cette question sans en dévoiler trop. Je pense qu’un auteur travaille avant tout la « matière » qu’il connait. Sinon, ça sonne faux. Cela fait un petit moment que j’arpente les salons du polar et les conférences en tout genre et là, il y a de la matière, crois-moi. Un type comme Stéphane Bourgoin*, que tu cites, est un personnage de roman à lui tout seul. Un Claude Mesplède également ! Par chance, ce sont des amis (ils ont donc été les premiers à lire Le Masque) et ils m’ont donc livré des petits secrets que les connaisseurs pourront retrouver dans le livre. Claudio est un mec génial, d’une générosité incroyable qui a découvert 99,9 % des auteurs de polar actuels. Il a, par exemple, déniché Caryl Ferey, dont le titre Zulu (je m’aperçois que je fais de la pub pour un concurrent. Bon, tant pis, c’est un pote…) va sortir prochainement sur les écrans, avec dans le rôle principal Orlando Bloom. Excusez du peu ! Bref, j’avais aussi envie de rendre hommage celui que j’appelle affectueusement mon Claudio. Un ami, un vrai. Et c’est bien rare…

Les tueurs en série sont à l’honneur dans Le Masque de Janus, tu as fait des recherches particulières sur ces derniers ?

Je ne sais pas si le terme « à l’honneur » est bien choisi, n’ayant pas d’attirance particulière pour ce genre d’individus. Toutefois, il n’y a qu’à participer à une conférence de Stéphane Bourgoin pour s’apercevoir qu’ils fascinent le public (c’est même parfois inquiétant !). Alors, j’ai essayé de décortiquer le phénomène et, pour rendre crédible mes personnages, j’ai effectivement mené des recherches pointues. Filmographie, livres spécialisés, internet, Stéphane Bourgoin (en direct ou via son excellent site du troisième œil) ont été mes principales sources. Je pense que pour bien comprendre ce qui se passe dans la tête du tueur, il faut se mettre dans sa tête. C'est-à-dire avoir la folie suffisante pour se prendre, l’espace d’un instant, pour un de ces prédateurs et raisonner de la même manière. C’est exténuant moralement mais c’est ce que j’ai essayé de faire. Enfin, rassure-toi, je n’ai tué personne…(ou alors, il faudra le prouver…sic)

Parle-nous de ton prochain projet, aurons-nous la joie de retrouver Alessandro ?

Et bien non. Après 7 opus, j’avais besoin de prendre un peu de recul et de respirer. Alessandro m’occupe l’esprit, depuis plusieurs années et c’est épuisant. Un livre, quel qu’il soit est assimilable à un véritable accouchement. Cela représente des mois de souffrance intellectuel, surtout pour l’impatient que je suis. Et comme dans tous les couples, il faut se préserver une part de liberté. Là, j’en avais besoin. Mon prochain livre sera un thriller. Evidemment. Il tournera autour d’une histoire de braquage et trouvera décors dans le Sud Ouest de la France. Le Pays-basque plus exactement, ma deuxième terre de cœur. Le manuscrit est quasiment finalisé et je l’ai construit différemment des précédents. Il est bâti comme un scénario de film. Je lorgne de plus en plus sur le cinéma (à cause d’un pote, un certain David Lecomte, qui m’a mis cette idée saugrenue en tête !) Avis aux producteurs, donc…Mais je reviendrai à Alessandro. C’est un peu de moi ce mec et il a son public. Il reviendra.

Merci beaucoup Frédéric

(*) Stéphane Bourgoin, né le 14 mars 1953 à Paris, est un écrivain français et libraire spécialisé dans la criminologie et le roman policier, notamment dans l'étude des tueurs en série. Le viol et le meurtre de la compagne de Stéphane Bourgoin par un serial killer en 1976 est à l'origine de son intérêt pour ce type de criminel.

Depuis 1979 , Stéphane Bourgoin a interrogé plus de 70 serial killers différents sur tous les continents. Il a enseigné au C.N.F.P.J. (Centre national de formation de la police judiciaire) de l’école de la Gendarmerie nationale à Fontainebleau pendant plus de 12 ans et est membre fondateur de l’association Victimes en Série (ViES). Il collabore avec tous les services de police du monde, dont le FBI, en tant que profiler.

Personne ne connaît mieux les petites manies des tueurs en série que lui. Il entre dans la tête des monstres, parfois même avant leur arrestation, participant aux enquêtes et disposant d’éléments confidentiels quant au mode opératoire des prédateurs.

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